joris Abadie
Les Etat généraux étaient divisés en ordres ou en classe. L'Assemblée nationale fut divisée en partis. La division par ordres était artificielle, ou du moins résultait de circonstances historiques que le temps avait profondément modifiées. La division en partis est naturelle, et naîtra toujours de la diversité même des esprits et des situations, qui ne permet pas que tous voient les choses du même point de vue.
Ce fut dans l'Assemblée constituante que les partis commencèrent à se désigner par la place qu'ils occupaient dans la salle des séances. Le côté droit avait été choisi par les privilégiés ; le côté gauche par les députés populaires ; le centre était occupé par les modérés. C'est depuis ce temps que la droite a signifié la réaction ; la gauche la révolution ; et le centre, le juste milieu.
La droite s'était formée naturellement des deux ordres privilégiés, noblesse et clergé, moins quelques députés de ces deux ordres, attachés aux idées nouvelles. Elle avait pour orateurs deux hommes d'un talent brillant et facile : l'abbé Maury et Cazalès ; Maury académicien et rhéteur plutôt qu'orateur politique ; Cazalès, au contraire d'une éloquence vive, naturelle, spontanée, sachant trouver les meilleures raisons possibles pour une cause impopulaire.
Entre la droite et la gauche se plaçait le parti Necker, composé de ceux qu'on appelait monarchiens. Leur idéal était la constitution anglaise. Tout en faisant la part aux idées de la Révolution, ils eussent voulu un pouvoir royal fort et respecté, une chambre haute réservée aux anciens ordres privilégiés, et une chambre populaire élective. Ce parti s'inspirait des idées de Montesquieu, et croyait pouvoir, par cette combinaison, réconcilier les trois grands éléments de la société d'alors, la royauté, l'aristocratie et le peuple.
A la tête de ce parti étaient deux hommes, parfaitement unis de sentiments et d'opinions, Malouet et Mounier, esprits sages, pondérés, ennemis des excès en toutes choses, mais demandant à la Révolution et à la Royauté des transactions qui n'étaient alors dans le tempérament ni de l'une ni de l'autre. Se rattachaient au même parti Clermont-Tonnerre, Lally-Tollendal, et enfin le ministre Necker dont la fille, Mme de Staël, défendit plus tard avec passion les idées politiques du parti dans son livre des Considérations sur la Révolution française.
Le parti national ou populaire se composait de l'immense majorité de l'Assemblée. C'est lui qui en avait décidé les premiers actes : c'est lui qui avait voté la Déclaration des droits ; ce fut lui qui fit la constitution. Imbu, sans le savoir, des principes républicains, il s'inspirait de Rousseau plus de Montesquieu. Les deux chefs les plus puissants de ce parti, et on peut le dire, de l'Assemblée, furent Sieyès et Mirabeau, celui-ci plus royaliste, celui-là plus démocrate. Le maire de Paris, Bailly, le commandant des gardes nationales, La Fayette, se rattachaient à ce grand parti.
La gauche de l'Assemblée constituante eut son extrême gauche. Sans être républicain, ce parti poussai le droit populaire aussi loin qu'il était possible sans sortir de la monarchie ; ses chefs étaient au nombre de trois ; on les appelait le Triumvirat : c'étaient Duport, Lameth et Barnave. Ce dernier, avocat célèbre, fut, après Mirabeau, le plus éloquent orateur de l'Assemblée, et même lutta quelquefois contre lui avec succès « Particulièrement dans la question du droit de faire la paix et la guerre, droit que Mirabeau voulait laisser au pouvoir royal, et que Barnave réclamait pour le pouvoir législatif. ».
Aux dernières limites de l'extrême gauche siégeait encore un député, obscur alors et sans influence, appelé depuis à une sinistre célébrité, Maximilien Robespierre.
Telle fut l'Assemblée constituante, si riche en hommes remarquables de toute sorte et de toute opinion. Insistons sur les deux plus importants : Sieyès et Mirabeau.
Deux hommes effacent tous les autres dans l'Assemblée constituante : Sieyès et Mirabeau. L'un fut son grand théoricien politique ; l'autre son plus grand orateur.
L'abbé Sieyès, député de Paris, connu par plusieurs brochures politiques avant la Révolution, avait surtout frappé l'opinion par son écrit célèbre sur le tiers état, dont on a retenu ces trois formules remarquables : « Qu'est-ce que le tiers état ? Rien. Que doit-il être ? Tout. Que veut-il être ? Quelque chose. »
Aux Etats généraux, Sieyès fut celui qui proposa au tiers de délibérer sans les deux autres ordres, et de se proclamer Assemblée nationale. Ce fut lui qui, lors de la séance royale du 23 juin, le roi ayant enjoint au tiers de maintenir la séparation des ordres, prononça ces mots décisifs : « Nous sommes aujourd'hui ce que nous étions hier : délibérons. »
Parmi les idées neuves de l'abbé Sieyès qui ont été appliquées, il faut mentionner l'institution des gardes nationales et la division de la France en départements.
Néanmoins, Sieyès est plutôt un penseur et un philosophe qu'un politique. Il vivait plus dans les abstractions que dans les faits. Il conserva longtemps en portefeuille un projet de constitution que ses admirateurs vantaient comme une merveille de l'esprit humain, et qui eut depuis de tristes aventures. Adoptée et remaniée par Bonaparte, au 18 brumaire, dans l'intérêt de son pouvoir, elle est devenue le type de toutes les constitutions impériales, dont on sait la lamentable histoire. Sieyès survécut longtemps à la Révolution et ne mourut qu'en 1836, à l'age de 88 ans « Il était né à Fréjus en 1748. ».
Mirabeau était plus que Sieyès un politique, un homme d'Etat. Il était surtout sans rival pour l'éloquence. Entraînant, nerveux, plein de force dans le raisonnement, plein d'imprévu dans l'apostrophe, profond dans la connaissance des faits politiques et dans l'étude des institutions, aucun homme, dans nos Assemblées, ne s'est plus rapproché que lui des grands orateurs antiques.
Mirabeau était à la fois plein de vices et de génie. La profondeur de ses vues et la sagacité de son esprit n'eurent d'égale que sa vénalité.
Sa jeunesse avait été déplorable ; mais la faute n'en fut pas à lui seul. Opprimé par sa famille, victime de l'arbitraire royal, ruiné d'ailleurs par ses propres désordres, il avait nourri dans son âme des rancunes et des désirs qui devaient faire de lui le plus redoutable des tribuns.
Plus qu'aucun autre, Mirabeau contribua aux premiers actes de la Révolution ; la Cour n'eut pas alors d'ennemi plus cruel et plus insolent, ni le peuple de plus audacieux défenseur.
Mais, après ce premier moment, il fut un des premiers qui, dans le parti populaire, essayèrent de contenir l'entraînement démocratique de l'assemblée et de sauver la puissance royale de plus en plus menacée.
On a lieu de croire qu'en passant du rôle de tribun à celui de conservateur, Mirabeau était sincère et convaincu. Il est malheureux qu'il ait cru pouvoir mettre ses opinions d'accord avec ses intérêts, en se vendant à la Cour. Il n'est que trop prouvé, aujourd'hui, qu'en faisant passer à la Cour des avis et des notes politiques il en recevait le prix.
Ces négociation ne furent que soupçonnées des contemporains, qui n'en eurent jamais la preuve. Une mort prématurée sauva Mirabeau de la chute où l'eût fait tomber sa vénalité, et vint le surprendre au milieu de sa gloire. Il mourut le 2 avril 91 « Il était né en 1749, et par conséquent mourut à l'age de 42 ans. », « emportant avec lui comme il disait, le deuil de la monarchie ». Cette mort fut un grand vide pour l'Assemblée ; la stupeur et l'admiration firent taire toutes les rancunes. Il semblait qu'aucune main n'était plus là pour contenir la Révolution.
Mirabeau, pas plus qu'aucun autre, n'aurait pu faire ce miracle ; et ce fut pour lui un bonheur de mourir assez tôt pour n'être pas dévoré par elle.
Malgré les désordres inséparables des grands mouvements populaires, on peut dire qu'un sentiment commun d'enthousiasme accueillit en France les grandes réformes de la Révolution. On y vit l'aurore d'une société nouvelle et de la fraternité universelle.
Ce fut une illusion bien vite évanouie ; mais elle eut son heure de fête et d'ivresse. Les tristes et sombres journées de la Révolution sont assez nombreuses pour que l'on s'arrête un instant sur celle où la joie sans mélange vint remplir tous les cœurs.
Ce fut l'anniversaire de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1790, qu'eut lieu au Champ de Mars la fête de la Fédération. Déjà, dans les province, plusieurs ligues ou fédérations s'étaient formées, dans lesquelles on prêtait le serment d'être fidèle « à la nation, à la loi et au roi ».
Une grande fédération enveloppant toutes les autres se forma à Paris. 50,000 gardes nationaux se réunirent au Champ de Mars sous le commandement de La Fayette. Le roi vint jurer à son tour, sur l'autel de la Patrie, fidélité à la nation et aux lois. La reine présenta au peuple l'enfant royal qui devait être Louis XVII. On dansa le soir sur l'emplacement de la Bastille.
Personne ne prévoyait la sombre tragédie qui devait succéder bientôt à cette éblouissante idylle.
Les travaux de l'Assemblée constituante eurent quatre objets principaux :
1° L'organisation administrative du royaume ;
2° Les finances ;
3° Les affaires du clergé ;
4° La constitution de l'Etat.
L'Assemblée, voulant créer une France nouvelle, dut détruire les anciennes circonscriptions territoriales, et en introduire d'autres à la place.
A la division par provinces elle substitua la division par départements.
L'ancienne France était divisée en 32 provinces, dont les principales (Bourgogne, Bretagne, Languedoc, etc ). Avaient formé au moyen âge comme autant d'Etats distincts. L'une de ces province, l'Ile-de-France, avait pour seigneur le roi, qui était supérieur aux autres seigneurs en tant que suzerain, et auquel tous les autres étaient rattachés par le lien plus ou moins lâche de la vassalité.
Les seigneurs de ces Etats subordonnés devaient au roi le service militaire et certaines redevances ; ils relevaient dans certains cas de son tribunal ; mais à part ces obligations dont ils s'affranchissaient le plus possible, ils jouissaient d'une indépendance presque absolue ; souvent même ils traitaient avec le roi d'égal à égal, et lui faisaient la guerre, comme souverain à souverain ; la Bretagne, la Bourgogne, furent celles qui luttèrent le plus longtemps contre la royauté.
Peu à peu cependant ces diverses provinces avaient été réunies à la Couronne, et soit par conquête, soit par mariage, soit par cession volontaire, avaient été enveloppés dans l'unité française ; mais il restait encore entre elle bien des éléments de séparation et de division. La diversité des lois et des coutumes, la diversité des poids et des mesures, les douanes intérieures rendaient les communications difficiles, et créaient de nombreux obstacles au développement du commerce et de l'industrie.
L'Assemblée constituante, pour assurer définitivement l'unité française, brisa les anciennes barrières provinciales, et au lieu de 32 provinces que la tradition et l'histoire avaient formées, elle établit législativement 83 départements. Une province fut ainsi divisée en plusieurs départements ; un même département se forma souvent aux dépens de plusieurs provinces.
Cette réforme fut, de toutes celles de l'Assemblée constituante, celle qui a le mieu réussi, et qui est restée la plus solide, malgré toutes nos révolutions. Il faut croire, malgré les objections dont elle a été l'objet, qu'elle répondait à un besoin légitime et vrai.
Ce fut par suite de l'état déplorable des finances que l'Assemblée fut amenée à s'occuper des affaires du clergé. Ces deux objets se rattachent donc l'un à l'autre, et nous les traiterons ensemble.
Le déficit financier avait été l'occasion de la Révolution, la cause déterminante de la convocation des Etats généraux. Le ministre Necker, que les événements de juillet avaient ramené au pouvoir, n'avait pas été plus heureux que ses prédécesseurs. Deux emprunts, une contribution d'un quart sur le revenu n'avaient produit que des ressources insuffisantes et passagères.
L'Assemblée s'en procura de plus amples et de plus durables par une des mesures les plus hardies de la Révolution : l'expropriation des biens du clergé.
Le clergé était en possession de nombreux biens dits de mainmorte « On appelait bien de mainmorte des propriétés inaliénables, qui ne passent pas de mains en mains. », qui s'élevaient à une valeur de plusieurs milliards. Ces biens, mis entre les mains de l'Etat, pouvaient suffire à la fois à l'entretien du clergé lui-même et au payement des dettes. L'évêque d'Autun, le célèbre Talleyrand, proposa à l'Assemblée cette mesure qui devait sauver, suivant lui, le crédit de la Révolution. Mirabeau l'appuya dans un de ses plus profonds discours.
Il n'est pas facile de résoudre le problème de droit que soulève cette mesure énergique. D'une part, le droit de propriété est sacré ; mais d'autre part, une corporation impersonnelle peut-elle jouir du droit de propriété au même titre qu'un individu particulier ? Peut-elle enlever à la libre circulation tout ou partie du territoire ? Irait-on jusqu'à dire qu'une personne morale, telle que le clergé, pourrai arriver à s'approprier le sol tout entier, sans que l'Etat ait le droit d'intervenir ?
C'est là une question sujette à controverse, mais que l'Etat, dans tous pays, au delà d'une certaine limite, a toujours résolue et résoudra toujours dans le sens de son propre droit.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée trancha le nœud plus qu'elle ne le dénoua ; et le 2 décembre 1789, elle mit les biens ecclésiastiques à la disposition de la nation.
Les biens territoriaux du clergé étant mis entre les mains de l'Etat, l'Assemblée, pour en escompter la valeur, créa les assignats, sorte de papier-monnaie, qui eurent cours forcé et étaient hypothéqués sur les biens nationaux, d'abord ceux du clergé et plus tard ceux des émigrés. Ce papier-monnaie rendit les plus grands services, et sauva pour le moment, on peut dire, la France et la Révolution.
Cependant on ne put échapper aux dangers bien connus de ce système : quelque effort que l'on fit pour limiter la quantité émise, la nécessité croissante était plus forte que toute prudence ; la planche aux assignats, comme on l'appelait, ne cessait de produire du papier, qui se dépréciait à mesure, et finit par perdre toute espèce de valeur : de là beaucoup de ruines, conséquence ordinaire de l'abus du papier-monnaie.
La contre-partie de la mesure qui livrait à l'Etat les biens du clergé, fut que l'Etat dut prendre à sa charge l'entretien du culte et de ses ministres. Le salaire des prêtres fut la rançon payée pour les biens saisis. C'est ainsi que la religion devint une partie de l'Etat et une sorte de fonction publique.
L'Assemblée s'engagea bien plus avant encore dans cette voie par mesure que l'on a appelée la Constitution civile du clergé.
Ce projet qui, à la vérité, ne touchait pas au dogme, portait néanmoins atteinte à la liberté religieuse, en organisant l'Eglise par la loi, comme on aurait fait d'un service public. On fixait le nombre des évêchés, on limitait leur circonscription, on déterminait les conditions de la nomination des ministres du culte ; on prétendait rétablir la primitive de Eglise, en faisant élire les évêques par le peuple. Ces mesures en elles-mêmes pouvaient être sages ; mais d'une part, elles étaient impolitiques en fournissant au clergé un légitime motif de résistance à la Révolution ; de l'autre elles étaient injustes : car l'organisation d'une Eglise ne relève que d'elle-même, et c'est d'un commun accord que les rapports de l'Eglise et de l'Etat doivent être réglés. Séparation ou Concordat, tels sont les deux seuls systèmes compatibles avec la liberté religieuse. Hors de là, vous aboutissez nécessairement aux Eglises d'Etat.
La vente des biens ecclésiastiques et la constitution civile firent du clergé un adversaire irréconciliable de la Révolution.
Cependant, s'il était juste, il devrait reconnaître qu'il a gagné à la Révolution autant que les autres classes de l'Etat. L'égalité a pénétré dans l'Eglise comme dans la nation. Toutes les fonctions du clergé, même les plus hautes, au lieu d'être réservées en partie à la naissance, au point qu'on avait vu des archevêques au berceau, furent le prix du mérite et de la vertu.
Ce ne fut pas seulement la justice qui y gagna : ce fut la piété même. Au lieu de ces vocations scandaleuses, imposées par la naissance, qui faisaient des Retz et des Talleyrand, il n'y eu plus que des vocations libres, et les désordres de mœurs si fréquents dans le haut clergé d'alors sont devenus une rare exception.
Ainsi, malgré certaines mesures oppressives, qui résultaient d'une fausse doctrine, on peut dire qu'en général le clergé a dû à la Révolution un progrès notable au point de vue de l'équité, de la moralité et de la piété.
Ce fut en 1791 que l'Assemblée nationale termina sa Constitution, et c'est de cette date que cette Constitution porte le nom.
On appelle Constitution la loi fondamentale qui règle l'organisation et les rapports des principaux pouvoirs de l'Etat.
L'ancien régime n'eut jamais de Constitution écrite, si même on peut dire qu'il eût eu jamais de Constitution. Les mœurs et les traditions, plus que les lois, servaient seules quelquefois de contre-poids au pouvoir absolu. En 89, la France ivre de théorie politique, crut qu'elle serait sauvée quand elle aurait une Constitution. Depuis cette époque jusqu'à l'heure présente, elle en a consommé dix ou douze « 1° Constitution de 91 – de 93 – de l'an III (95) – de l'an VIII (1800) – sénatus-consultes de l'an X (consulat à vie) – de l'an XII (1804)(Empire) – Charte de 1814 – Acte additionnel (1815) – Charte de 1830 – Constitution de 1848 – Constitution de 1852, sans parler des nombreux sénatus-consultes qui ont modifié cette dernière Constitution ; - et enfin Constitution de 1875. » et l'on en demande encore une nouvelle !
Les principaux points de la Constitution de 91 étaient les suivants :
1° Le suffrage était à deux degrés. Le droit de choisir les électeurs appartenait aux citoyens actifs. Les électeurs nommaient les députés.
Pour être citoyen actif, il fallait payer une contribution égale à la valeur de trois journées de travail.
Pour être électeur, il fallait payer une contribution égale à la valeur de cent à quatre cents journées de travail, suivant qu'il s'agissait de la campagne ou de la ville, de villes au-dessus ou au-dessous de 6000 âmes, ou enfin de propriétaires, de locataires ou d'usufruitiers.
2° Le mouvement était monarchique, c'est-à-dire que le pouvoir exécutif était entre les mains d'un monarque ; mais le pouvoir de ce monarque, au lieu d'être absolu, comme dans l'ancien régime était limité par le pouvoir législatif et par toutes les libertés publiques.
Les ministres étaient responsables devant le Parlement ; mais ils étaient nommés par le Roi, et pris en dehors de l'Assemblée.
Deux questions surtout agitèrent l'Assemblée et l'opinion, relativement à l'étendue du pouvoir royal : celle du droit de paix et de guerre, et celle de la sanction des lois.
Sur la première, il fut décidé que l'initiative de la guerre ou de la paix appartenait essentiellement au pouvoir exécutif, sous la réserve du consentement de l'Assemblée. Mirabeau prononça à cette occasion l'un de ses plus beaux discours.
Sur la seconde question, il fut décidé que les lois ne seraient valables que lorsque le roi aurait donné sa sanction ; mais on débattit vivement sur le temps que pouvait durer son opposition, ou son veto. Les uns le voulaient absolu, les autres suspensif : ce furent ceux-ci qui l'emportèrent, et il fut décidé que le refus du roi de sanctionner la loi ne pouvait s'étendre au delà de deux législature.
Cette question du veto fut une de celles qui agitèrent le plus le peuple de Paris ; ce fut l'occasion d'un sobriquet grossier que le parti révolutionnaire appliqua à la reine.
3° Le pouvoir législatif était confié à une Chambre unique et permanente. Les partisans de la monarchie anglaise, Malouet, Mounier, Clermont-Tonnerre, soutinrent le système des deux Chambres ; mais la crainte de voir une chambre haute reprendre et rétablir les privilèges abolis fit écarter cette institution, que les bons esprits considèrent aujourd'hui comme essentielle aux gouvernements libres. Ajoutons encore que le roi n'avait pas le droit de dissoudre l'Assemblée : droit qui lui appartient dans tous les gouvernements représifs.
4° Le pouvoir judiciaire était électif et ses fonctions temporaires. Le jury fut introduit dans les causes criminelles.
5° Le même principe électif fut appliqué aux fonctions administratives. Au lieu d'un préfet ou d'un sous-préfet nommé par le pouvoir, comme cela eu lieu plus tard, il y eut un directoire exécutif du département et un directoire exécutif du district (arrondissement), composés l'un et l'autre de plusieurs membres élus par le peuple. Il en fut de même des municipalités, qui dans les communes remplissaient les fonctions du maire.
Le pouvoir exécutif était donc partout électif et divisé, excepté au centre, où le pouvoir suprême était décerné à un monarque. Unité et hérédité au sommet, élection et division à tous les autres degrés : cette contradiction est un des vices essentiels de la Constitution de 91.
Cette Constitution n'était ni républicaine ni monarchique, ou plutôt elle était à la fois l'une et l'autre. Elle établissait la République sous l'apparence de la Monarchie.
La royauté était désarmée et annulée, et dans ce fantôme d'autorité le peuple défiant voyait toujours le pouvoir absolu.
La Constitution de 91 n'était pas bonne, mais il est douteux qu'une Constitution meilleure eût eu, en de pareilles circonstances, de meilleurs effets. On a vu de mauvaises institutions corrigées dans la pratique par la sagesse des hommes, et de bonnes rendues impuissantes par leurs passions. Le moment était venu où les passions devaient être plus fortes que toutes les lois.
Déjà avant le vote même de la Constitution les passions eurent une triste occasion d'éclater : ce fut à l'occasion de la fuite du roi.
Depuis les journées d'octobre, le roi et la reine étaient comme captifs dans Paris. Il leur était interdit d'aller même à Saint-Cloud.
Quelque bonne volonté que l'on suppose à Louis XVI, il est difficile de croire qu'il pût être sincèrement attaché à une Révolution qui lui ôtait tout pouvoir, et le retenait prisonnier dans son propre palais.
Le parti royaliste, après avoir quelque temps essayé de lutter soit dans l'Assemblée soit en dehors d'elle, avait commencé à transporter hors de France ses intrigues et ses projets. Après le juillet, avait commencé la première émigration. Le comte d'Artois, frère du roi (depuis Charles X), en avait donné le signal. Depuis, un grand nombre de noble avaient suivi.
Les souverains de l'Europe commençaient de leur côté à s'émouvoir d'un événement qui mettait en question les principes sur lesquels reposaient tous les trônes, et ils s'intéressaient à un malheureux prince, qu'ils considéraient comme une victime opprimée. Déjà se préparaient dans l'ombre les premiers plans de coalition.
D'autres défenseurs, plus avouables pour un prince français, se rassemblaient en faveur du roi. C'était l'armée du marquis de Bouillé, qui, réunie sous la frontière, près de Montmédy, était toute prête à agir lorsqu'elle aurait le roi dans son sein.
Le roi, instruit de toutes ces circonstances, crut le moment venu de reconquérir sa liberté ; le juin, dans la nuit, il s'évada déguisé, avec la reine, son fils et sa sœur, et il prit le chemin de la frontière.
Le voyage fut heureux jusqu'à Varennes, petite ville des Ardennes. Là, le roi fut reconnu, arrêter, retenu. Un maître de poste, Drouet, depuis conventionnel, puis compromis dans la conspiration de Babeuf, et plus tard encore sous-préfet de l'empire, fut l'auteur de cette arrestation.
L'Assemblée prévenue envoya trois commissaires pour ramener le roi à Paris : ce furent Pétion, Latour-Maubourg et Barnave. Le premier appartenait au parti le plus extrême, et fut plus tard un des girondins. Barnave, le chef de la gauche à l'Assemblée, commença dès lors à se rapprocher de l'autorité royale. Ainsi escortée et sous bonne garde, la famille royale revint à Paris.
Pendant son absence, l'Assemblée avait exercé tous les pouvoirs, et l'on avait fait la dangereuse expérience que l'on pouvait se passer de roi.
Une fois le roi rentré dans Paris, l'Assemblée eut à prononcer si on le mettrait en jugement, et si l'on prononcerait la déchéance.
La menace d'une révolution nouvelle dont on craignait les extrémités rallia toutes les nuances du parti royaliste. Barnave et les Lameth devinrent à leur tour les défenseurs de ceux dont ils s'étaient fait craindre si longtemps. L'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à déchéance. Mais une royauté ainsi balancée par les votes d'une Assemblée n'a plus de pouvoir royal que le nom. Un vote la rétablissait ; un vote pouvait la détruire.
Les constitutionnels ne l'emportèrent pas seulement à l'Assemblée par leurs votes : ils eurent encore raison de leurs adversaires par la force. Un rassemblement considérable provoqué au Champ de Mars par Brissot, Camille Desmoulins et Danton, chefs populaires du parti républicain, fut pour La Fayette et Bailly l'occasion d'une victoire sanglante qui leur fut depuis amèrement reprochée.
Ce fut dans cette circonstance que le drapeau rouge fut déployé par Bailly, comme signe de la proclamation de la loi martiale. Ce drapeau a donc été d'abord le symbole de la répression avant de devenir celui de l'anarchie.
Le roi, relevé de la suspension dont il avait été provisoirement frappé après le retour de Varennes, prêta serment à la Constitution, le 29 septembre 1791, et il eut ce jour-là un dernier retour de faveur populaire. On aimait ce prince « Dans une pièce de cette époque 1792, de Collot d'Herbois, le futur terroriste, les personnages, au dénouement, disaient en terminant : (Allons aux Tuileries contempler notre bon roi.) » tout en se défiant de lui. On avait confiance en ses intentions ; mais l'on craignait ses conseillers et ses préjugés.
Ce jour-là, l'Assemblée constituante se sépara, après deux ans et cinq mois du travail le plus gigantesque qu'aucune Assemblée politique eût jamais entrepris. Elle commit la faute de décider qu'aucun de ses membres ne ferait partie de la future Assemblée. C'était une imprudence : car le pays allait être encore une fois livré à une Assemblée toute neuve, sans expérience et sans responsabilité, qui, n'ayant pas fait la Constitution, n'avait pas intérêt à la maintenir.
L'Assemblée constituante avait fait sa révolution ; l'Assemblée législative qui lui succéda, voulut avoir la sienne. La première avait aboli l'ancien régime ; la seconde abolit la royauté.
L'Assemblée législative eut, comme la Constituante, sa droite, son centre, sa gauche. Seulement tout avait marché, et la gauche de la Constituante se trouvait la droite de la Législative.
La droite se composait de ce que l'on appelait les Feuillants, ainsi nommés du nom d'un couvent attenant aux Tuileries, du côté où est aujourd'hui la terrasse qui a longtemps porté ce nom, et qui longe la rue de Rivoli.
C'étaient les Constitutionnels de toute nuance, recrutés surtout dans l'ancien parti de Barnave et de Lameth. Il eut quelques noms distingués, Mathieu Dumas, Beugnot, Vaublanc, mais aucun homme éminent.
Le centre, voué comme dans toutes les Assemblées à suivre le courant le plus puissant, n'avait ni opinion fermes, ni ligne de conduite arrêtée, ni chefs importants : il fut l'appoint de la gauche, où était alors l'éclat, le talent, la puissance, la popularité.
La gauche se composait de ce qu'on a appelé le parti girondin, parce que plusieurs de ses membres étaient députés de la Gironde : Vergniaud, Gensonné. C'était des orateurs du parti. Brissot de Warville en était le publiciste ; Condorcet le philosophe, Roland le sage.
Les Girondin étaient républicains, mais républicains à peu près comme les Constitutionnels étaient royalistes. Ils eussent voulu une république libérale, légale, modérée dans ses actes, douce dans ses mœurs, et même élégante. Ils se seraient même contentés d'une monarchie où le roi eût consenti à n'être qu'un instrument entre leurs mains.
Le centre actif du parti girondin n'était pas à l'Assemblée, mais dans un salon, celui de Madame Roland, l'une des femmes les plus illustre et les plus brillantes de la Révolution : grande âme, noble esprit, rare talent ; c'était l'Egérie du parti. Elle en était la tête et le cœur. De chez elle partaient tous les mouvements, toutes les résolutions. En préparant la république, elle se préparait à elle-même la prison et l'échafaud.
Au delà du parti girondin, il faut compter encore dans l'Assemblée législative un parti extérieur, qui, peu puissant au point de vue parlementaire, était cependant le plus puissant au dehors : car déjà l'empire se déplaçait et c'était dans les clubs que commençait à se manifester la véritable puissance.
Les clubs, expression emprunté à l'Angleterre « Le mot club signifie cercle, réunion, et s'applique surtout en Angleterre aux réunions privées. », furent un des instruments d'action les plus énergiques et les plus funestes de la Révolution. C'étaient des réunions publiques régulières et périodiques, qui bientôt se transformèrent en associations puissantes, ayant leur siège et leur centre à Paris et des affiliations dans tous les départements. Ouverts surtout au parti populaire qui y faisait la loi, ils commencèrent déjà sous la Législative, et parvinrent bientôt sous la Convention, à usurper la souveraineté.
Le premier club avait été le club breton fondé par des députés de Bretagne ; il tomba sous l'influence du parti de Duport, Lameth et Barnave, chefs du parti populaire, mais royalistes encore dans la Constituante. En opposition à ce club, les modérés fondèrent le club de 89 sous l'influence de La Fayette. Le parti aristocratique lui-même eut son club, celui des Impartiaux qui ne put se soutenir longtemps.
Le club breton devint bientôt le club des Jacobins, du nom d'un ancien couvent, rue Saint-Honoré, dans lequel cette société s'était transportée ; mais elle avait déjà changé de nature. Fondée par Duport et Barnave, elle échappa à l'influence de ce parti pour tomber entre les mains de Robespierre, lequel en fit plus tard le plus solide appui de sa puissance.
Les Jacobins furent, pendant toute la Révolution, une sorte de pouvoir extra-légal, qui, à côté et souvent au-dessus des l'Assemblées, eut la plus grande part au gouvernement. C'est de là que partirent tous les grands mouvements ; là se préparèrent toutes les plus cruelles mesures ; là régnait sans partage cette doctrine d'une république dictatoriale, égalitaire et violente, qui a pris le nom de jacobinisme : véritable secte, qui a apporté en politique une sorte de fanatisme analogue à celui qu'avaient montré au XVI° siècle les sectes religieuses.
A côté des jacobins, un autre club se mit au service des intérêts et des opinions populaires. C'étaient les Cordeliers, dont l'empire fut moins long et moins durable, mais qui eussent aussi leur moment de puissance. Plus violents que les jacobins à l'origine, les Cordeliers furent surtout un comité d'action révolutionnaire, tandis que les Jacobins étaient un comité de gouvernement : ceux-ci donnèrent la théorie de la Révolution ; ceux-là en furent les instruments. Les premiers obéissaient à Robespierre ; les autres à Danton. Mais ce n'est pas le moment de parler en détail de ces deux hommes, qui ne sont encore qu'au second plan sous la Législative, et qui n'arriveront au premier rôle que sous la Convention.
Jacobins et Cordeliers appartenaient les uns et les autres au parti révolutionnaire. Le parti modéré voulut, à son tour, ressaisir à son profit une arme qu'il avait lui-même créée, mais qui s'était retournée contre lui. De là, sous la Législative, un troisième club, une troisième société, celle des Feuillants, qui donna son nom au parti royaliste constitutionnel. Mais l'énergie n'était pas alors du côté des modérés ; les grandes réunions populaires ne se recrutent guère parmi les conservateur. Le club des Feuillants eut peu d'autorité, peu d'action, et ne servit à rien.
Tandis qu'à l'intérieur le parti constitutionnel essayait de lutter contre la Révolution extrême par les armes légales, au dehors un autre parti, celui de l'ancien régime, le parti des princes, des privilégiés, du pouvoir absolu, se préparait, par d'autres armes, à étouffer non seulement le parti révolutionnaire, mais la révolution elle-même, dans ses réformes les plus nécessaires et les plus légitimes.
Dès le 14 juillet 89, le comte d'Artois frère du roi, les princes de Condé et de Conti avaient donné le signal. Plus tard ( 20 juin 1791 ), le comte de Provence ( depuis Louis XVIII ) s'était échappé lors de la fuite de Varennes, et avait réussi à parvenir jusqu'à Bruxelles, où il prit le titre de régent de France. Enfin, la plus grande partie de la noblesse et même beaucoup de citoyens craintifs avaient quitté le territoire, les uns pour échapper aux dangers de la Révolution, les autres pour préparer une revanche. C'est ce qu'on appela l'émigration.
L'émigration eut son camp à Coblentz, sur les bords du Rhin. C'est là que se forma l'armée des princes, l'armée de Condé, comme on l'appela, toute prête à coopérer avec l'armée étrangère pour envahir la France et délivrer le roi.
L'Assemblée décida que le comte de Provence serait déchu de ses droits à la régence, si dans l'intervalle de deux mois il n'était pas renté dans le royaume. Par un autre décret, elle prononça la peine de mort et la confiscation contre les émigrés rassemblés en armes au delà de la frontière. Le roi sanctionna le premier de ces deux décrets, mais refusa sa sanction au second. Ce refus, quelques mois plus tard, fut une des causes de sa déchéance.
Ainsi se préparait pour la France le double fléau de la guerre civile et de la guerre étrangère, qui en exaspérant la Révolution, l'amena à se défendre par les mesures les plus terribles et les plus sanglantes.